avril 20, 2024
Accueil » Djamel Mahroug : « Tamazight a surtout besoin d’une production littéraire pour continuer d’exister »

L’inspiration et l’écriture l’ont toujours habité dès son enfance. Poète, romancier et chercheur, Djamel Mahroug a pu entretenir cette flamme durant des années jusqu’à passer à l’édition. Le natif des Ouacifs contribue à sa manière à l’enrichissement de sa langue et sa culture grâce à son apport académique et littéraire…

Préoccupé par la question identitaire, il traite de la liberté et les droits de l’homme et des thématiques qui concernent les vicissitudes de la vie, la société et ses travers. Il veille à la promotion de sa langue maternelle en la véhiculant et la fixant par le moyen de l’écriture. La sauver de la disparition est pour lui une une responsabilité et un devoir.

Dans cet entretien, Djamel Mahroug évoque des questions en lien avec sa langue maternelle ; ses sources d’inspiration, les sujets qu’il aborde dans ses écrits et la littérature kabyle. Il nous dresse un tableau de l’évolution de cette dernière, de ses enjeux et du rôle des DLCA dans son développement.

En sa qualité d’académicien, de journaliste et de militant, il revient sur les premiers auteurs en Tamazight, leur motivation, thématique, style… en les comparant avec ceux de la nouvelle génération. Il émet un regard critique sur la place du livre dans la société et évoque le rôle des médias dans la promotion littéraire…

Racontez-nous brièvement votre parcours littéraire ? Comment êtes-vous venu à l’écriture ? 

J’ai commencé à composer des poèmes dès le primaire. Mais c’est au CEM, durant les événements du printemps noir, que je me suis vraiment investi dans l’écriture. Cette passion pour l’écriture, a grandi une fois au lycée et à l’université, notamment avec la lecture des romans en tamazight.

Les Asfel, Askuti, Faffa, Iḍ d wass, Tafrara etc., m’ont  permis de me familiariser avec la lecture et l’écriture en tamazight. N’ayant pas étudié tamazight au primaire, CEM et lycée, je ne pouvais envisager de publier dans cette langue. La maitrise de tamazight était pour moi une condition et un écueil.

L’idée d’éditer mes poèmes, ne m’a traversé l’esprit qu’une fois à l’université. Et ce n’est qu’en 2020, après avoir fréquenté le milieu livresque, que j’ai édité mon premier recueil.

Vos premiers pas dans l’écriture étaient avec de la poésie. Qu’est-ce qui vous a particulièrement inspiré lors de l’écriture de vos poèmes ? Quelles sont vos principales thématiques ?

J’écris essentiellement sur la question identitaire, la liberté et les droits de l’homme. Cependant, je compose aussi sur d’autres thématiques, comme les vicissitudes de la vie, l’amour, la société et ses travers etc. J’ai également rendu hommage à certaines personnalités kabyles, à l’image de Matoub, Azem, Mohia, Bennai, Mammeri etc.

Comme je l’ai dit précédemment, les événements du printemps noir, m’ont beaucoup marqué, même si j’étais encore très jeune à l’époque. Ils m’ont inspiré beaucoup de poèmes et incité à réfléchir sur la question identitaire. Cependant, les problèmes sociaux, la vie de tous les jours et la question des libertés, m’ont aussi poussé à écrire.

Votre dernier roman a pour titre “Agni n twaɣit”. Qu’évoque-t-il ? Comment vos personnages sont-ils créés ?

Mon roman, à l’image de mes recueils, traite des questions que j’ai évoquées en haut, c’est-à-dire des problèmes sociaux, de la question identitaire, de l’amour, mais aussi de l’islamisme, des libertés individuelles et du phénomène des Harraga etc.

Les personnages ont été étudiés et ont été créés en fonction de leurs qualités et défauts, de leurs actions et rôles dans le récit. L’identité amazighe est également prise en compte dans le choix des noms (Meqran, Dda Akli, Syphax, Mezyan etc.).

A quel point est-il important pour vous d’écrire ? Et pourquoi en votre langue maternelle plus précisément ? Un mot sur la littérature kabyle ?

Écrire, pour moi, est non seulement un plaisir, mais aussi un devoir. En plus d’être cathartique, l’écriture me permet de transmettre ma pensée, de l’exposer au débat et à la critique. C’est à la fois une contrainte et un bonheur. Le faire dans ma langue maternelle, l’est encore plus. La véhiculer, la fixer par le moyen de l’écriture et la sauver de la disparition, sont une responsabilité et un devoir.

Tamazight a surtout besoin d’une production littéraire pour continuer d’exister. On ne peut plus se contenter du folklore et de l’oralité. Les paroles s’envolent, seul l’écrit reste.

Pour ce qui est de la littérature kabyle, je peux dire qu’elle se porte bien, vu le nombre de publications dans les différents genres. La qualité varie d’un auteur à un autre et en fonction des genres. Cependant, l’apport à la langue est considérable. En plus de la fixer, la littérature a permis aux lecteurs de se familiariser avec les néologismes et de sauver quelques termes en voie de désuétude.

Les enseignants ont le choix concernant les textes à enseigner aux élèves et les universitaires ont une panoplie de corpus pour leurs différentes études. Idem pour ce qui est de la culture, puisque les auteurs la véhiculent et la défendent (pour la majorité) dans leurs textes. Les différents événements et pratiques sont actualisées dans les différentes genres littéraires tout comme ceux qui en sont les acteurs. Mais malgré ces points positifs, on ne peut occulter quelques problèmes, notamment ceux liés à l’édition et à la réception.

Les auteurs, dans leur majorité, publient à compte d’auteur (autoédition) et les éditeurs ne les accompagnent pas dans la distribution et la promotion de leurs livres. Ajouter à cela les médias, qui faussent la réception et la critique, en mettant en avant certains livres et auteurs et en snobant les autres.

Si on doit comparer les premiers auteurs en Tamazight, ceux d’avant les années 2000, leur motivation, thématique, style… avec ceux de la nouvelle génération, que diriez-vous ?

Ayant lu un certain nombre de romans et de nouvelles, je ne vois pas vraiment une grande différence du point de vue du style ou des thématiques. Concernant ces dernières, je peux juste dire que la thématique amoureuse surpasse la thématique identitaire.

Beaucoup d’écrivains écrivent en fonction des exigences du public, et là se pose la question de la liberté de l’auteur ? Doit-on comparer cet état de fait au contexte traditionnel, où le poète, par exemple, ne peut pas composer à sa guise ? La différence entre ceux d’avant nous, c’est qu’ils osaient dire malgré les contraintes de l’époque. Aussi, on sent une certaine sincérité et liberté dans leurs écritures, contrairement à ceux d’aujourd’hui.

Quant au style, il n’a pas vraiment changé. L’écrivain en langue kabyle, se sent forcé d’inonder son texte de figures de style, pour prouver qu’il maîtrise vraiment son art. Hors, cela tend vraiment à le rendre moins compréhensible dans bien des cas.

Vous êtes un habitué des salons de livres, quel est votre point de vue sur ces événements littéraires et leur apport ? A quel point cela est-il important justement pour un auteur ?

Les salons de livres sont avant tout des moments de rencontre et d’échange entre auteurs et/ou entre auteurs et public. L’aspect commercial vient en second lieu. Exposer ses textes, les faire connaitre auprès du public, doit être l’une des principales raisons.

Je suis enclin à dire, donc, que ces salons sont d’une grande importance, car ils offrent ces opportunités que les écrivains ne peuvent trouver nulle part ailleurs. Les salons de livres pallient au manque de médiatisation.

A votre avis, si on s’adonne à réfléchir sur le manque du lectorat et l’intérêt à la littérature, cela serait dû à quoi ? Que préconisez-vous ?

Le manque de lectorat se fait sentir dans la plupart des littératures. Les gens, accros aux nouvelles technologies et aux réseaux sociaux, préfèrent écouter et voir que de lire. Cependant, en ce qui concerne la littérature kabyle, le mal est plus profond.

Le manque de visibilité, rend la question plus épineuse. Certains médias font carrément du favoritisme ; ils font de la publicité pour certains auteurs au détriment des autres. Cette logique influence la réception et la critique du livre. En médiatisant ces auteurs, ils légitiment leurs textes et, inversement, discréditent ceux des autres. Idem pour les critiques littéraires, qui sont plus des lectures, choisies et/ou orientées, qui manquent cruellement d’objectivité.

Comment expliquer que, malgré le nombre très réduit de romans édités l’année précédente (une dizaine), seuls quatre ou trois romans ont eu une véritable couverture médiatique ? Pourtant, ce ne sont pas les médias qui manquent de nos jours. Pire, certains romans ont bénéficié d’une promotion une année voir plus avant leur publication, tandis que d’autres sont passés inaperçus.

Ayant suivi une formation en journalisme, que pensez-vous de la place de la culture, et de la littérature en particulier, dans le paysage médiatique ? Un mot sur le journalisme culturel…

Le journalisme culturel ne jouit pas de l’importance dont jouissent les autres. Cependant, son importance se situe ailleurs. En couvrant les activités culturelles, il contribue à la promotion des différents acteurs et incite le public à y assister. Dans une société comme la nôtre, la culture est parmi les rares alternatives pour parer aux différents fléaux sociaux.

Je pense que les médias, de par leur pouvoir (considérés comme le quatrième pouvoir), peuvent jouer un grand rôle dans la promotion de la culture et de la littérature et inciter ainsi les jeunes à s’y intéresser. Mais malheureusement certains médias font plus dans la promotion de la médiocrité en ne s’intéressant uniquement qu’au sensationnel.

Beaucoup d’événements artistiques et culturels, ne jouissent pas d’une couverture médiatique, et cela ne joue pas en faveur du développement culturel.

Comme beaucoup d’autres auteurs, vous êtes diplômé en Tamazight et actuellement écrivain en cette langue, selon vous, quel est le rôle et l’apport des Département de Langue et Culture Amazighes (DLCA) ?

Les différents DLCA ont contribué à former beaucoup d’enseignants, d’artistes et d’écrivains en langue kabyle. C’est là l’un des mérites des différents DLCA. En outre, ils contribuent également à la critique littéraire, puisque c’est là qu’elle se fait vraiment, objectivement et méthodiquement.

Les DLCA organisent aussi des cafés littéraires ; des rencontres sur et autour de la littérature. Ajouter à cela les différents colloques, les séminaires et journées d’étude, qui traitent de littérature.

Des projets en perspective ? Un dernier mot pour conclure…

Deux projets en perspectives pour le moment. La publication d’un recueil de poésie (dans quelques semaines) ainsi qu’un recueil de nouvelles. Pour ce qui est du roman, ce n’est pas prévu pour l’instant.

Merci pour le travail que vous faites et longue vie pour votre site.

Propos recueillis par Hamza Sahoui

Bio Express

Djamel Mahroug, poète, romancier et chercheur en langue et culture amazighes, est originaire du village Agouni Fourou (région de Ouacif). Il a une licence en Langue et Culture Amazighes et un Master en Arts et Lettres Amazighs. Il a également fait un Master en journalisme au sein de l’école de journalisme d’Alger (ENSJSI). Actuellement, il est doctorant en littérature amazighe et enseignant au sein du Département de Langue et Culture Amazighes (DLCA) de Tizi-Ouzou.

Il a édité jusqu’à présent quatre ouvrages aux éditions Imal. Trois recueils de poésie et un roman. Son premier recueil, ‘Asḥissef d usebɣes” est édité en 2020. Une année après, il revient avec “Amakun d usugen : tirga-w d wayen nniḍen”.

En 2022, il revient avec un troisième recueil “Gar uwezɣi d Wanaḍ” et un roman intitulé “Agni n twaɣit”.

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