avril 26, 2024
Accueil » Zohra Aoudia : « La femme n’est pas un instrument de plaisir, elle mérite le respect, laissez-là vivre en paix »

Le roman “Tadist yettwaneεlen” (ou “Grossesse maudite” – Imtidad, 2023), de Zohra Aoudia, raconte une histoire déchirante d’une femme trahie par la vie. Née suite au viol d’un père sur sa fille Razan, la malédiction guette Damya depuis sa naissance, durant son adolescence, jusqu’à son mariage et sa mort tragique, tuée par… celui qu’elle a tant aimé !

Quand une fleur ne fleurit pas, on corrige l’environnement dans laquelle elle pousse, pas la fleur“, citation de Zohra Aoudia, l’une des femmes pionnières de la littérature kabyle. Pour résumer son approche sociétale positive, orientée solutions, malgré les aléas de la vie, la jeune écrivaine prône le traitement des maux en profondeur.

Préoccupée par la condition de la femme, elle traite des sujets tabous, parfois incompréhensibles, mais nécessaires pour avancer. Elle est partisane d’une littérature engagée pour dénoncer les injustices, les inégalités mais aussi son désarroi. Elle révèle la réalité, témoigne et veille à la transmission de messages d’espoir.

Dans cet entretien, Zohra Aoudia nous parle à cœur ouvert de son deuxième roman, ses sources d’inspiration et les sujets abordés. Elle s’adresse à ses lecteurs et à ceux qui attendent sa sortie pour évoquer ses thématiques d’écritures et nous dévoiler en exclusivité tout sur son oeuvre intitulée “Tadist yettwaneεlen” (ou “Grossesse maudite”)…

Vous venez de publier votre deuxième roman “Grossesse maudite”, qu’évoque-t-il ?

“Grossesse maudite” parle des enfants “nés sous x”, sans filiation connue, de l’adoption, de l’avortement, de la stigmatisation des femmes célibataires et divorcées, mais aussi du combat de ces enfants issus des relations non assumées.

Dans mon nouveau roman, j’ai traité aussi les violences faites aux femmes ; le viol, le féminicide et toutes autres formes d’agressions, physiques, verbales et surtout sexuelles et d’autres sujets tabous… J’y raconte ce qu’a vécu Damya née suite au viol d’un père sur sa fille Razan, une réfugiée syrienne maltraitée par son père.

Les malheurs se succèdent d’une manière dramatique sur Damya depuis sa naissance, son admission à l’orphelinat et son adoption, jusqu’à devenir adulte… Que de rebondissements tragiques, notamment durant son adolescence, son mariage, son divorce et son remariage avec son amoureux après l’avoir quitté. Mais ce dernier l’a finalement lâchement assassinée !

Une mort tragique qui dévoile l’histoire de Damya après la découverte de son journal intime…

Pourriez-vous nous en dire plus et nous faire, en exclusivité, un résumé du roman pour vos chers lecteurs ?

Les événements tournent autour de Razan qui a saisi l’opportunité de la guerre civile en Syrie pour fuir les atrocités que lui fait subir son bourreau père depuis l’âge de cinq ans au su de sa mère biologique. Razan tombe enceinte à l’âge de quatorze ans. Ses parents décident alors de la tuer et la brûler. La jeune adolescente prend la fuite vers d’autres contrées et débarque à Tizi-Ouzou.

Jeune maman “malgré elle”, Razan a du mal à concevoir un enfant auquel elle a donné naissance sans sa volonté ; comment va-t-elle l’appeler “ma fille ou ma sœur” ? Elle meurt sur le coup le jour même de son accouchement. La victime (le bébé), transférée à l’orphelinat, aura droit à deux prénoms Damya – Silda et finie par être adoptée pour vivre les plus beaux jours de sa vie.

Mais cette vie heureuse ne durera pas longtemps. Tout va basculer lorsque ses parents adoptifs décident de tout lui avouer. Damya se renferme sur elle, s’isole et s’éloigne surtout des hommes. Mais, elle ne baisse pas les bras ; elle se met alors à l’écriture et décide de reconstruire à nouveau sa vie jusqu’à devenir une femme instruite et célèbre.

Elle finit par rencontrer le grand amour et se marie avec Silas qui a su conquérir le Cœur de Damya. Mais la malédiction la suit encore… Après quelques années de leur mariage, son destin a totalement changé. Damya ne supporte plus la situation toxique dans laquelle elle se retrouve avec son mari devenu violent et dangereux ; elle décide alors de divorcer.

Là encore, son nouveau statut la rend une proie facile dans une société qui ne pardonne pas et qui voit d’un mauvais œil une femme divorcée… Quelque temps après, le couple se reconstruit à nouveau. Silas et Damya décident de se donner une seconde chance et se remarient.

Mais, vivant avec des troubles mentaux, son mari fini par commettre l’irréparable et tue sa femme d’une sauvagerie indescriptible… Un crime horrible intriguant les enquêteurs qui ont trouvé le journal intime de Damya – Silda qu’elle a écrit depuis qu’elle était adolescence où elle a tout raconté…

L’histoire se termine en 2044. Pour connaitre la suite, je laisse mes chers lecteurs et mes chères lectrices la découvrir en détails en les invitant à lire mon roman.

Après votre premier roman “Tiziri”, qui évoque, entre autre, le pénible combat d’une femme pour s’affirmer, pourquoi un autre travail lié à ces problématiques ? Considériez-vous comme écrivaine féministe ?

La femme m’a porté neufs mois dans son ventre et c’est elle qui m’a mis au monde elle m’a donné la vie l’amour la tendresse, elle a fait de moi celle que je suis aujourd’hui. La seule qui m’a porté sur son dos et dans son cœur. Donc elle mérite que je lui rende hommage à chaque fois dans mes écrits.

Pour le féministe, je ne peux pas vous dire que je suis une femme féministe car j’écris sur tout ce que m’inspire dans la société, beaucoup plus les pauvres femmes et enfants qui sont maltraités, abandonnés, et qui ont perdu l’espoir dans la vie. En général, l’histoire de toute personne qui n’a plus la confiance en soi me préoccupe et m’interpelle…

Pourriez-vous nous raconter ce qui vous a particulièrement inspiré ou poussée à écrire ce deuxième roman ?

Il y a trois raisons qui m’ont motivées et poussées à rédiger ce roman. Premièrement, tout ce que la femme algérienne, et particulièrement kabyle, endure m’inspire. La deuxième, le nombre croissant ces derniers années de femmes tuées, brûlées, agressées sexuellement, leurs âmes qui réclame justice, le respect et la liberté, le chagrin pénible de leurs enfants leurs parents qui pleurant sans cesse leur chère.

La troisième et dernière raison, les souffrances des enfants abandonnés qui n’ont pas le droit à une vrai famille, ni de connaître leurs vrai parents, les enfants qui n’ont personne pour essuyer leurs larmes, et une mère qui les serre dans ses bras très fort avec un amour inconditionnel. Ses victimes que toute la société accuse et déteste car ce sont que des bâtardes (iḥramen).

Vos écrits sont parfois bouleversants pour une société “patriarcale et conservatrice” ? Que diriez-vous de la complexité et de l’incompréhension qui caractérisent certaines thématiques choisies ?

Dans mes écrits, je mets en relief les sujets qui touchent ou concernent directement la femme. Jusqu’à présent, mes livres parlent sur des sujets qui demeurent encore tabous dans notre société tels que l’agression sexuelle, le suicide… J’aborde la condition de la femme en m’inspirant des réalités vécues, vues, entendues…

Il faut explorer de nouveaux thèmes, traiter des sujets, qui nous concernent directement et ne pas trop se soucier de la réaction de la société. Il me semble que la société a vraiment besoin de ce genre d’écrits pour les esprits et mettre les gens dans le droit chemin et leur ouvrir les yeux sur certains faits.

Après avoir édité deux œuvres littéraires, que diriez-vous du degré d’intérêt et de l’importance des sujets traités pour le développement de la société ?

L’écrivain est le miroir de sa société, il parle du vécu de sa société, ou fait parler les gens autour des sujets qui les concernent directement à travers des personnages et des histoires vécues ou inspirées de la réalité. Porte-voix des sans voix, par sa plume, l’écrivain dénonce les inégalités et l’injustice et évoque des thèmes nouveaux, parfois incompréhensibles par sa société, mais qui la font avancer.

Pour mesurer le degré d’intérêt aux sujets traités, la meilleure preuve c’est la réaction de mon public qui réclame mon roman et qui cherche après moi pour le procurer. Cela fait presque une année qu’on attend avec impatience la publication du deuxième roman.

Ainsi, je considère qu’il y a vraiment nécessité de mobiliser davantage les personnes qui ont perdu l’espoir en la vie de se remettre debout à nouveau. Il faut aussi abandonner les mauvaises croyances qui entravent le développement de la société et la femme, surtout dans les sociétés arriérées. Encourager d’autres à écrire dans ce sens pour casser définitivement les tabous.

Justement, à quel point est-il important pour vous d’écrire sur des sujets dits “tabous” ?

Si j’ai pris ma plume, c’est pour vous écrire sur des sujets tabous qui touchent de près le sexe féminin dans notre société et autres. Malheureusement, beaucoup de personnes qui n’ont aucun respect pour la femme ne veulent pas en entendre parler. Car pour eux ça ne concerne que la gente féminine têtue.

C’est pour dire à haute voix arrêtez d’insulter les femmes, de les maltraiter, de les violer, de les trahir, de les tuer et les brûler et d’exiger quoi mettre comme vêtement. La femme c’est la vie, l’amour, la tendresse. La femme n’est pas un instrument de plaisir, elle mérite le respect, laissez-là vivre en paix.

Un témoignage à nous faire à propos de vos recherches ou rencontres avec des femmes qui vous ont raconté leurs vécus ?

C’est difficile de vous raconter ce que ces femmes-là m’ont confié, car elles ont fait confiance en moi. Mais je peux vous dire qu’elles ont subit des atrocités que ce soit par leurs conjoints ou leurs familles. Beaucoup de pauvres et malheureuses femmes sont trahies par la vie.

L’histoire qui m’a marqué à jamais est celle d’une femme divorcée avec un enfant très malade sans défense qui a été rejetée par ses propres parents. Elle travaille comme femme de ménage pour subvenir aux besoins de son fils. Elle vit dans une petite chambre de l’imam dans la mosquée du village.

Par ailleurs, mes rencontres avec des femmes syriennes réfugiées m’ont beaucoup émue et parfois choquée.

Pensez-vous que le fait de parler des situations contraignantes ou faits dramatiques que vivent certaines femmes pourraient les aider à les dépasser ? Comment cela est-il possible ?

Oui bien-sûr, ça les aidera beaucoup. C’est comme une thérapie. Je vais essayer de vous expliquer encore plus.

Parfois, quand on va bien, on est malade ou bien angoissé, on n’a pas besoin d’aller chez le médecin ou bien de prendre des médicaments, mais on a juste besoin de quelqu’un à qui parler et se confier, celui qui va nous écouter attentivement.

Comme je vous l’ai déjà dit, il y a beaucoup de femmes qui souffrent en silence, notamment, au nom de l’amour. Ses différentes souffrances comme : la violence physique, verbale, psychologique, économique…et il existe plusieurs raisons derrière qui poussent les femmes à ne pas dénoncer la violence de leurs époux ou compagnons.

Par exemple, pour ne pas séparer les enfants de leurs père ; l’amour aveugle ; la peur de divorce ; la réaction de la société qui accuse toujours la femme. La femme perd la confiance en elle et de plus, elle s’isole et préfère le silence. Lorsqu’elle dans de telles situations, elle se retrouve affaiblie et incapables de se construire à nouveau notamment si c’est une femme au foyer.

Donc, quand quelqu’un d’autre parle à leur place, ça leur fera que du bien. Elles éprouvent un sentiment de soulagement, et grâce à cela elles peuvent à nouveau se remettre debout. Me concernant, à travers mes écrits, je les encourage à dire non à la discrimination, à la violence, sur toutes ces formes, qu’elles subissent.

En tant que écrivaine, mais aussi enseignante, comment voyez-vous tout ce travail d’éducation, de sensibilisation, de dénonciation, de défense, de lutte… devrait se faire ?

En ma qualité d’enseignante au lycée, où je suis en contact permanent avec mes élèves, j’essaye toujours de leur montrer ce qui est bien pour eux et leur déconseiller ce qui va à l’encontre de leur bien. Il faut tout le temps les motiver, croire en eux et surtout à leur apprendre et les aider à avoir confiance en eux.

Que ce soit dans leur comportement, leur façon de parler, ou dans leurs petits gestes quotidiens d’adolescents, ce travail d’éducation et de sensibilisation doit être permanent aussi bien à l’école qu’au sein de la famille. En dehors de l’école, c’est à travers mes livres que je passe mes messages sur des sujets qui nous interpellent tous à plus d’un titre.

Si on écrit c’est pour être lu, bien évidemment ! De ce fait, encourager la lecture à l’école est très important pour que nos enfants puissent s’informer, s’ouvrir sur les autres et connaitre leur société. D’ailleurs, comme contrôle continu, mes élèves sont tenus de faire des résumés des livres qu’ils ont lus pour avoir leur note. C’est ma façon de les inciter à lire…

Vous lisez aussi beaucoup ; et si vous nous parler un peu de vos lectures, des auteurs qui vous inspirent ou que vous aimez lire ?

Oui, effectivement, je lis énormément en français mais aussi en kabyle. Ma la littérature préférée est celle qui touche au roman dramatique. A chaque fois que le style de l’auteur me met devant des événements inattendus, du suspens, des rebondissements de situations,… etc, cela alimente ma curiosité et m’attire davantage pour lire le livre.

Aussi, les romans qui se lisent facilement et rapidement, souvent distrayants et parfois superficiels, m’intéressent particulièrement. J’aime lire toute œuvre qui traite d’histoires policières ou d’espionnage, d’histoires d’amour ou autres histoires fascinantes.

A ce titre, les auteurs que j’aime lire particulièrement, qu’on peut classer dans ces registres, je peux citer Amin Zaoui, Guy des Cars et Paolo Coelho.

Grâce à votre plume et votre langue maternelle vous arrivez à dire ce que beaucoup pense tout bas. Pourquoi écrivez-vous, et pourquoi en tamazight plus précisément ?

Pour moi, sans l’écriture, ma vie sera toute autre ; je ne peux m’imaginer qu’un jour je cesserais d’écrire. La vie n’est pas toujours des fleurs et des roses, et avec l’écriture, je surmonte les douleurs les plus insurmontables et je fais face à aux aléas.

Préoccupée par la condition de la femme, avec ma plume, je traite des sujets tabous, parfois incompréhensibles, mais nécessaires pour avancer. Je suis née dans une société qui vénère le sexe masculin, et la condition de la femme fait partie de mon combat.

Quant au choix d’écrire en tamazight, c’est pour la simple raison qu’on ne dit pas tous nos ressentis qu’avec sa langue maternelle, une langue de l’épanouissement. L’écriture est l’un des meilleurs moyens qui permet à notre langue d’évoluer et sortir de l’oralité à l’écrit.

Avec les écrits, notre langue aura le statut d’une langue vivante, loin de la mentalité du folklore et demeurera toujours en vie, elle sera immortelle, éternelle (S titra, tamaziγt ad tidir i lebda).

Que peut-on découvrir “d’osé et de choquant” dans le roman “Tadist yettwaneεlen” ? Qu’en est-il de la réaction du public, des échos reçus suite à l’annonce de sa sortie ?

Tadist yettwaneɛlen” (ou “Grossesse maudite”) s’inscrit toujours dans les mêmes thématiques traitées dans “Tiziri”. Avec ma plume et mon audace style littéraire, j’ai levé le voile dans ce livre sur d’autres sujets tabous et osés.

Ce que je peux vous dire, c’est que dans mon nouveau roman, je suis toujours à la recherche de nouvelles situations affreuses, critiques, diaboliques. “Tadist yettwaneɛlen” contient de nouveaux thèmes non encore traités, cachés, dans notre société, que je voudrais bien dépoussiérer et en parler.

Suite à l’annonce de la sortie prochaine du deuxième roman, la réaction du public est plutôt positive. Beaucoup de lecteurs ne cessent de me demander quand il sera disponible en librairie. Pour ce qui est osé ou choquant dans l’œuvre je laisse le grand public le découvrir lui-même.

Que diriez-vous à vos lecteurs et ceux qui attendent votre deuxième roman ? Un mot ou un message à faire passer…

Mes chères lectrices et mes chers lecteurs sont ma vraie source de force. D’ailleurs je profite de l’occasion pour les remercier infiniment pour leurs enseignements et leur grand amour : Chère lectrices, chers lecteurs. Je tiens à vous exprimer mes plus vifs remerciements pour votre patience, confiance, vos encouragements, surtout votre grand amour. Personnellement, c’est ce qui m’encourage le plus pour aller de l’avant dans mes projets, écrire encore et encore.

Comme je remercie toutes les personnes qui m’ont tenue la main depuis le début de mon aventure dans le monde de l’écriture, avant et après la sortie de mon premier roman “Tiziri”.

Si vous le permettez, je voudrais profiter l’occasion pour dire qu’il est temps que les choses soient dites comme elles sont pour que notre société puisse avancer dans le bon sens.

Propos recueillis par Hamza Sahoui

Bio Express

Zohra AOUDIA, romancière, est née au village “Ait Atsou” (Taxliǧt At Ɛettu), à Michelet (Tizi-Ouzou), dans les années quatre-vingt. Titulaire d’une licence et d’un diplôme de Master en linguistique au département de langue et culture Amazighe à l’université de Mouloud Mammeri Tizi-Ouzou, elle est enseignante en Tamazight au Lycée Abane Ramdane de Tizi-Ouzou.

Elle a déjà publié deux textes dans la revue “Aselmad” (N°07, Avril 2020). Auteur du roman ” Tiziri ” (édition Achab, 2020), “Tadist yettwaneɛlen” (ou “Grossesse maudite”) est son deuxième roman paru aux éditions Imtidad (2023).

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